Table des matières
Déterminer l'âge d'un mammifère est un élément important pour qui veut gérer convenablement son territoire de chasse et connaître la pyramide d'âge des espèces présentes sur son territoire. Personnellement, c'est aussi pour moi une conclusion aux observations que j'ai pu faire avant le prélèvement. En examinant la dentition de la mâchoire inférieure, on peut aisément connaître l'âge de l'animal en observant l'usure de ses dents. Cette technique est réputée fiable et elle est utilisée par une majorité de chasseurs. Sans remettre en cause la précision de la technique, j'ai, quant à moi, observé sur certains de mes prélèvements une différence d'usure significative entre les deux demi-mâchoires sans qu'il y ai de blessures apparentes (dans ce cas laquelle prendre ?). De plus, il semblerait que, en fonction du biotope de l'animal prélevé (nature des sols, présence de silice, alimentation, etc… ), il peut y avoir une différence d'usure de la dentition. Partant de ces constats, je me suis penché sur une autre technique largement utilisé en anthropologie : la cémentochronologie.
1. La cémentochronologie
La cémentochronologie est une technique destructive, utilisée en archéologie et en biologie, pour déterminer l'âge du décès d'un animal en étudiant les couches de céments dentaire. Le cément dentaire est un phénomène de minéralisation des tissus qui recouvre les surfaces radiculaires de la dent (surface externe de la racine). Le cément additionnel, fondé sur le dépôt annuel de cément, est une technique parmi les plus performantes dont l’exactitude est appréciée dans de nombreuses publications1.
La technique consiste à visualiser ces paires de couches (à l'aide d'un microscope), pour estimer l'âge de l'animal. Pour simplifier, on pourrait faire l'analogie avec l'étude des anneaux sur les coupes d'arbre afin d'en déterminer l'âge. On utilise le même principe en cémentochronologie en comptant les couches de "cément" aditionnel sur la racine de la dent. La technique suppose de connaitre le cycle de minéralisation des tissus de l'espèce observée. Il peut y avoir des erreurs lors de l'observation notamment chez les cervidés avec l'apparition de cément supplémentaire (faussant la détermination de l'âge), lors des périodes de rut.
Signalés dès le début de la méthode par les biologistes, de faux incréments peuvent apparaître au sein d’une séquence, augmentant ainsi artificiellement le nombre de paires de couches ….. Ils ont été mis en relation avec le rut chez les Cervidés [6] et plus généralement avec le cycle reproductif [36]
https://www.researchgate.net/publication/280295703_La_Cementochronologie
Message d’Os. Archéométrie Du Squelette Animal et Humain (pp.172-190) Éditions des Archives ContemporainesEditors: Balasse, Brugal, Dauphin, Geigl, Oberlin2
2. Méthodologie
Le cément additionnel est une minéralisation qui se forme autour des racines des dents. Il est donc nécessaire de procéder à l'extraction de la dent sur l'animal prélevé. (La racine étant à l'intérieure de la gencive).
On pourrait schématiser ces couches de cément comme suit :
Figure 1 : Schéma couches de cément radiculaire additionnel
Pour visualiser ces couches de cément additionnel, il faudra sectionner la dent en deux pour laisser apparaître l'intérieur des racines, puis les polirs à l'aide de toile Emeri, et enfin observer les couches de cément à l'aide d'un microscope. (J'utilise personnellement un petit microscope numérique que j'ai acheté ~20-30€ sur un marketplace bien connu). Nous recherchons dans cette observation à visualiser une alternance de couches translucides et opaques ce sont les couches de cément additionnel.
2.1. Matériel nécessaire
Avant de commencer la procédure, il sera nécessaire d'acquérir un peu de matériel pour pouvoir observer ces couches de cément. Voici ce que j'utilise personnellement :
- Un microscope numérique 40x-1000x
- Toile Emeri grain 600 à 5000
- Un ordinateur (pour brancher le microscope)
- Une dremel pour découper la dent
- Une pointe à tracer métallique pour extraire la dent
- Colle epoxy si vous souhaitez recoller la dent
Figure 2 : Microscope numérique
Figure 3 : Toile Emeri
Figure 4 : Dremel
2.2. Extraction de la dent et traitement
Après avoir récupéré et nettoyé une demi-mâchoire inférieure, je procède à l'extraction de la dent M1 ou M2. (Première ou deuxième molaire définitive). Personnellement, j'utilise une pointe de traçage métallique pour faire levier entre la racine de la dent à extraire et la mandibule. Si la demi-mâchoire est bien nettoyée, l'extraction est plutôt aisée.
Figure 5 : Extraction de la dent M1
Note : si l'extraction est réalisée proprement il sera toujours possible de recoller la dent dans la mandibule à la fin de la procédure.
Je procède ensuite à la découpe de la dent à l'aide d'une dremel. Il est possible d'utiliser d'autres outils mais personnellement je trouve la précision de la dremel appréciable. Si c'est bien réalisé, il sera possible de recoller les deux parties de la dent à la fin du process. Nous cherchons ici à accéder aux couches de céments. Après plusieurs essais, il me semble qu'il est plus facile d'observer le cément additionnel à la jonction des deux racines pour les molaires (arche interadiculaire) alors que pour les incisives le dépôt se fait principalement à la pointe de la racine. (Voir photographie).
Figure 6 : Découpe de la dent
La découpe laisse des stries visibles sur la surface de la dent. Pour observer le cément additionnel il est nécessaire de polir la face que l'on observera au microscope. De la toile Emeri fera parfaitement l'affaire. Je commence par du grain 600 ou 1000 et je poli étape par étape pour finir par le grain 5000. Malgré ce que l'on pourrait imaginer c'est putôt aisé et rapide. La qualité du polissage déterminera la facilité avec laquelle vous pourrez observer les couches de céments additionnel au microscope.
Figure 7 : Polissage à l'aide la toile Emeri
2.3. Observation au microscope et exemples
Après avoir fini le polissage de la surface que l'on souhaite observer, je mets la dent sous le microscope numérique. Pour simplifier la lecture des couches de céments, j'ajoute une source de lumière qui vient "réveler" les alternances translucides et opaques de ces couches. Il est parfois nécessaire de jouer un peu avec la source de lumière pour améliorer l'observation. Pour la visualisation du cément additionnel chez le sanglier et le cerf, un grossissement x20 est suffisant alors qu'il est nécessaire de passer sur un grossissement x40 pour le chevreuil.
Figure 8 : Photographie des couches de céments au microscope
Pour connaître l'âge de l'animal prélevé, on observe les pairs de couches. Si on omets les faux incréments qui peuvent apparaître en période de rut chez les cervidés, on considère que chaque pair correspond à une année de vie. La photographie ci-dessous montre un chevreuil de 5 ans.
Figure 9 : Phographie observation des couches de céments chez le chevreuil
Cette autre observation sur un autre prélèvement, révèle cette fois un chevreuil de 6 ans.
Figure 10 : Photographie observation chevreuil 6 ans.
Figure 11 : Photographie sur cervidé avec l'autorisation de M.BARTHELOT ANCGG
3. Conclusion
Je n'ai pour ma part effectuée cette opération que sur l'espèce chevreuil. Après quelques observations, il m'est de plus en plus aisé de repérer ces alternances de couches opaques et translucides. Personnellement,et même si cette technique peut paraitre compliquée, j'apprécie particulièrement sa précision. A contrario de l'observation de l'usure des dents sur une demi-mâchoire qui donne une vague idée de l'âge du prélevement, la cémentochronologie indique avec précision l'âge du mammifère. Cette technique me permet donc, lors du prélevement, de vérifier l'exactitude des observations et des conclusions que j'ai pu faire avant de choisir de tirer. Quoi que l'on puisse penser, j'ai la certitude que la cémentochronologie est un outil supplémentaire, fiable, et efficace que je continuerais à expérimenter.